En ce début janvier, je vous propose un de ces plaisirs minuscules de la vie qui font le "sel de la vie", à la façon de Vincent DELERM
Se
coucher
Sortir de cette
journée éreintée d’un hiver effréné pour entrer dans ce nuage douillet et
confortable. Les cris turbulents des enfants s’assourdissent enfin pour laisser
place au plaisir silencieux de la chambre. Ce mutisme, cette fixité, ce vide,
quelle consolation assommante après le vacarme ! Dans ce
havre de paix endormi, on se love, on se niche, ranimant des couvertures intimes,
pour chasser, par frissons, la froideur hivernale qui a pénétré les membres. Les
pieds glacés se réchauffent aux frottements des draps frénétiques et se
réjouissent de recouvrer leur moiteur. Les bras enlacent l’oreiller désengourdi
et câlineur pour se réconforter et retrouver la sensation de ce corps, un temps
asservi, dépossédé de lui-même. Ah comme c’est bon de se sentir aimé ! On se
tourne, on se retourne, pour pétrir tel le chat cette couche accueillante ;
la douceur de cette nouvelle enveloppe, caresse suave sur la peau, procure la
satisfaction d’une récompense. Ces mouvements réveillent les effluves des draps
frais qui gratifient les narines de senteurs lavande (ou fleur de coton
peut-être ?), réminiscence des étreintes rassurantes
d’une grand-mère. Le corps se fait inerte, s’enfonce dans l’épaisseur remobilisée
du matelas, puis s’enlise dans cet assoupissement envahissant. La mollesse de
cette paillasse tasse avec délicatesse les fesses, la tendresse de ce
berceau a l’effet d’un bon gâteau.
Et
puis la respiration, ralentie, se règle au rythme de la trotteuse, gardienne du
réveil ; la poitrine soulève la couverture gonflée ; et bercé par la cadence
régulière du lit, l’esprit oublie les tracas du quotidien. On s’engourdit sous
l’épaisseur matelassée de cette couche brumeuse, on ne sent plus les jambes,
cette inertie contamine centimètre par centimètre toutes les parties du corps,
seul le souffle constant fait vivre ce lit reposé. La chaleur paralysante du
sommeil s’insinue jusqu’à la conscience, qui, telle une bougie, s’éteint, ouvrant
les portes d’un voyage onirique…
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